A.
La Bête, de méchante à gentille
Le graphisme guide les sentiments
de l'enfant à deviner où est le bien et le mal ; nous pouvons
dire que la Bête a un aspect plus répugnant que malveillant. Malgré
ses expressions féroces et son corps imposant, ses traits sont
davantage balourds. Ce personnage paraît pataud. Il n'a pas la
finesse agile et anguleuse des vrais méchants. Les dessinateurs ont
du joué sur les expressions du visage de la Bête pour lui attirer
la sympathie des spectateurs, par exemple à l'aide de ses grands
yeux bleus.
(20)
Sur cette image, nous pouvons
remarquer le premier signe de sympathie de la part de la Bête. Elle
est désolé de ne pas avoir laissé le temps à Belle de dire au
revoir à son père. Elle éprouve des remords, ce que n'éprouve pas
un véritable méchant.
(21)
L'expression de la Bête montre
qu'elle éprouve une nouvelle fois des ressentiments envers Belle
lorsqu'elle la voit pleurer.
Mais le changement radical du
personnage de la Bête se trouve au milieu du film. La Bête
accomplit son premier acte héroïque lorsqu'il sauve la vie de
Belle, attaqué par une meute de loups. Cette scène est décisive
dans son comportement. Elle attire de plus en plus la compassion de
la part des spectateurs, et non plus de la crainte, parce qu'elle est
malheureuse d'être prisonnière de ce corps hideux. Le personnage se
rend ensuite compte qu'il éprouve quelque chose pour Belle. Il fait
à la fois des efforts vestimentaires mais aussi des efforts
concernant son comportement. Il souhaite alors lui être agréable et
se faire apprécier, en lui faisant une surprise ; il lui offre
une gigantesque bibliothèque, sachant que sa passion est la lecture.
Il essaie ensuite de se discipliner et de devenir quelqu'un de
civilisé. Il accorde même à Belle le plaisir de revoir son père à
travers son miroir et lorqu'elle voit Maurice mourant, la Bête lui
rend sa liberté, bien que la rose est sur le point de faner. Son
amour pour Belle le pousse à agir de cette façon, c'est ce qui lui
permet de devenir quelqu'un de bien. Il est si malheureux de l'avoir
perdu qu'il se laisse tuer par Gaston. Il n'a pas le comportement
violent d'un monstre. Il décide ensuite de se défendre et pourrait
le tuer s'il le voulait mais n'en a aucune envie lorsqu'il voit la
pitié de Gaston dans ses yeux. Il le laisse partir. Le fait que la
Bête ne tue pas Gaston constitue un élément essentiel dans le fait
que la Bête est bel et bien l'un des héros de l'histoire. A la fin
des films de Walt Disney, les méchants sont toujours punis. Mais si
la façon de le punir est de mourir, il n'est jamais tué par le
héros. Il est éliminé par des éléments extérieurs. Ici, Gaston
glisse des murs du château à cause de la pluie et tombe dans le
vide. Le méchant disparaît à l'issue de l'action qu'il a lui-même
dirigée. Cette accentuation permet aux enfants de voir une grande
différence entre le bien et le mal et qu'ils ne soient pas confus.
B.
La quête du héros
Dans un conte, tout héros est en
quête d'un objet de valeur.
- L'importance des fées dans les contes
Une fée est le personnage
essentiel dans les contes, c'est pourquoi le nom de contes de fées a
été donné. Elles sont souvent symbolisées par un objet
particulier : la baguette. Sur les vitraux qui défilent au
début de l'histoire, nous pouvons voir qu'elle en tient une dans une
main et que grâce à elle, elle peut donner un châtiment au prince.
Elles sont parfois de bonnes fées ou d'autres fois maléfiques, mais
elles ne reviennent jamais sur les sorts qu'elles ont décrétés.
Dans le film de Walt Disney, la fée n'est pas présente
physiquement. Excepté sur les vitraux où nous pouvons apercevoir
son apparence, elle ne fait pas irruption durant l'histoire. Au
contraire, dans le contre de Le prince de Beaumont, elle est présente
à la fin de l'histoire lorsqu'elle métamorphose la Bête en prince.
Elle décide de punir les sœurs de Belle pour leurs agissements
envers elle en les transformant en statue de pierre. Mais encore une
fois, elle laisse une chance de aux sœurs de se repentir à
condition qu'elles reconnaissent leur faute. En effet, que ce soit
dans le conte ou dans le film, la fée a puni le prince de ses
mauvais agissements tout en lui laissant une chance de se repentir.
C'est ce qui est appelé la mise à l'épreuve.
- La mise à l'épreuve
Les contes de fées mettent en
scène un héros soumis à des épreuves qui constituent l'intrigue.
Dans l'histoire de La Belle et la Bête, le prince est changé en
« bête monstrueuse » (22) et un sort est jeté sur le
château ainsi que sur tous ses occupants. Sa seule façon d'inverser
ce sort est de trouver une femme à aimer et qui l'aimera, avant son
21ème anniversaire. La femme constitue alors l'objet de valeur de la
Bête. La rose, l'objet symbolique de cette histoire, est présente
pour matérialiser le temps qu'il reste à la Bête, avant son 21ème
anniversaire. Elle fane au fil des années qui passent et lorsque
toutes les pétales seront tombées, il restera coincé dans le corps
d'une bête.
Les principaux moteurs des actions
des héros sont la peur de la mort et la recherche de l'amour.
L'amour n'est atteint qu'après de multiples épreuves. L'obstacle de
cette histoire n'est pas d'ordre sociale mais d'ordre physique ;
la Bête ne peut obtenir la main d'une femme avec l'apparence qu'il
a, mais s'il ne le fait pas, il ne pourra pas retrouver une apparence
humaine. Concernant la mort, le sujet n'intervient qu'au moment du
dénouement de l'histoire, lorsque Gaston tente de tuer la Bête et
que Belle le croit mort. Les Walt Disney sont fondés sur le fait que
les héros finissent toujours par être récompensés. En effet, dans
cette histoire, Belle tombera amoureuse de la Bête, ce qui
métamorphose à nouveau la Bête en jeune prince.
- Les thèmes de l'amour et du mariage
La plupart des contes merveilleux
mettent en avant le thème de la famille. Elle est présente sous
différentes formes, elle peut se construire, se modifier ou se
défaire, jusqu'à obtenir une nouvelle organisation à la fin du
récit. Dans l'histoire de La Belle et la Bête,
la seule famille présente au début de l'histoire est celle de
Belle, constituée d'elle-même et de son père. D'ailleurs, Gaston
se sert de cet élément pour atteindre Belle et qu'elle accepte de
se marier avec lui. Cependant, elle apparaît sous la nouvelle forme
d'une construction puisque la fin de cette histoire est une
« happy-end » maritale avec l'acquisition immédiate d'un
royaume. L'histoire de La Belle et la Bête rentre alors dans un
schéma particulier : « les conquérants ou les fondateurs
de famille » (23). C'est l'un des schéma les plus courants
dans le conte merveilleux. Ici, la Bête qui est le héros, que l'on
a découvert adolescent, est passé par un certain nombre d'aventures
ou d'épreuves, et, à la fin, il a gagné la main de Belle, qui
devient ensuite sa princesse.
La
présence des thèmes de la famille, du mariage et de l'amour est
bien présente dans beaucoup de contes et dans chaque film de Walt
Disney. Ils servent à transmettre aux enfants des aspects de la vie
qu'ils ne connaissent pas encore. Ces histoires sont des véritables
exemples de la vie de famille, ainsi que la découverte de la
sexualité et du passage de la puberté au stade pré-adulte. En
effet, dans cette histoire, la Bête est la figure de la sexualité
terrifiante et du tabou qu'elle représente pour l'enfant. C'est donc
l'acception de la sexualité comme étant normale. Plus généralement,
ces thèmes reflètent l'existence humaine et son rapport au temps,
par la mise en scène de la vieillesse et de la succession des
générations.
C.
Les schémas narratifs canoniques
Plusieurs schémas narratifs
canoniques se dessinent clairement au fur et à mesure de l'histoire.
Se créent alors un enchâssement de ces schémas. Pour commencer, le
père de Belle, un premier actant, s'introduit chez la Bête, un
deuxième actant, ce qui constitue l'action principale du premier
schéma. Maurice est alors le destinataire sujet. Ce qui le pousse à
rentrer dans le château est la meute de loups qui est à ses
trousses, ainsi que le fait qu'il soit perdu. La Bête décide alors
de le sanctionner négativement en l'enfermant dans son cachot. Elle
se constitue comme étant le destinateur judicateur. Cependant,
Belle, le troisième actant, décide de prendre la place de Maurice
afin de pouvoir lui offrir la liberté. Cette sanction devient alors
une action dans un nouveau schéma, dont le destinataire sujet est
Belle. La sanction qui en découle est positive ; Belle et la
Bête tombent amoureux. Cette sanction, se transformant en une
nouvelle action, donne lieu à la métamorphose de la Bête en le
jeune prince qu'il était avant. La Bête est donc le destinataire de
ce nouveau schéma. Le sort est donc annulé selon les indications de
la fée ; la Bête devait trouver une femme qui l'aimerait pour
ce qu'il est, outre passant son apparence et l'aimer en retour. La
fée est donc le destinateur judicateur puisque c'est elle qui avait
jeté le sort.
Ces trois schémas montrent les
épreuves par lesquels est passé la Bête pour arriver à
l'obtention de son objet de valeur : Belle.
D.
La métamorphose de la Bête
Suite à l'affrontement entre la
Bête et Gaston, Belle voit son prince mourir sous ses yeux et finit
par lui dire qu'elle l'aime. Au même moment, la dernière pétale de
la rose tombe. Des lumières de toutes les couleurs jaillissent du
ciel autour de Belle et la Bête. Il est comme soulevé dans l'air et
sa transformation physique a lieu ; il retrouve sa véritable
apparence humaine.
(24)
La sort a donc été annulé
puisque le héros, la Bête, a réussi à obtenir son objet de
valeur, Belle. Celle-ci le reconnaît uniquement grâce à ses grands
yeux bleus. Dès lors qu'ils s'embrassent, le sort concernant le
château et les serviteurs du prince reprennent leur véritable
apparence.